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Compilations - Saïtlyn

Si vous aimez développer l'histoire de votre personnage et présenter sa description, partagez-les avec la communauté.
Tadann
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05 oct. 2017, 12:53

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Prologue

Il est tant de choses que l’on dit, raconte, colporte, lors d’un office, au détour d’un plat ou d’une bière. Il est tant d’échange en quelques paroles, tant de croyances fondées ou non, tant de rêves et de désillusions en seulement quelques phrases à la portée – et la véracité – parfois insoupçonnée.

Mais si l’on s’arrête un instant. Si l’on s’attarde en entrouvrant les yeux, en éteignant les sons les plus forts. Si l’on accorde à une seconde toute l’attention qu’elle mérite, alors l’on dévoile l’envers du décor et tout ce qui nous est servi de savoir, de connaissance, de certitude et de conviction tombe pour ne laisser place qu’à une question : pourquoi ?

Pourquoi, et pour quoi, nous a-t-on enseigné comme nous l’avons appris ? Quel psaume, pour quelle visée ? Quelle magie, pour quelle utilité ? Quel passé… pour quelle destinée ?

Un parchemin ? Non, non rangez cette plume. À ce jour ces quelques mots ne méritent pas le gaspillage d’encre et de papier ; ces denrées sont si cher payées… Contentons-nous d’en parler. Il n’est de tradition plus noble que celle de l’oral, celle des anciens. Et si ces mots doivent résonner quelque part, parce que magnifiques, parce que relatant l’exceptionnel – bon ou mauvais – alors peut-être sera-t-il utile que quelqu’un les transcrive et les immortalise. Mais pour l’heure…
Dernière édition par Tadann le 05 oct. 2017, 13:01, édité 3 fois.
Tadann
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05 oct. 2017, 12:59

[Ambiance]

Printemps 534, Saïtlyn a 6 ans

Le ciel d’un bleu intense, si intense bien qu’il eût été tranché d’or. Dans ce ciel, que balayaient la brise et les épis de blé pas encore à maturité, planait une petite silhouette sombre, le traversant lentement de part en part avant d’opérer un long virage pour revenir finalement à son point de départ. Et sans cesse, cette même ronde. Sans cesse ce circuit battu de quelques coups d’ailes comme seul chemin vers les hauteurs pour redescendre inlassablement en scrutant le sol. C’était là la seule raison d’être de ce rapace que l’enfant venait observer autant qu’il le pouvait lorsque les beaux jours arrivaient.

« Saïtlyn ! Saïtlyn, nom d’une pipe ! »

Il se redressa brusquement, laissant passer son chef au-dessus des têtes de céréales. Combien de temps avait-il encore laissé filer ? Le garçon regarda frénétiquement aux alentours pour rapidement tomber sur la silhouette du tanneur, toujours si impressionnante.

Dans un bref mouvement, il bondit sur ses deux pieds et se mit à courir pour le rejoindre au plus vite. Il planta les talons, glissant sur quelques centimètres et s’arrêta juste sous l’aplomb de l’homme. Ramassant une calbote au moment de lui passer devant, il rentra la tête dans les épaules.

« Encore à rêvasser ! T’as vu l’état d’l’atelier ! Tu t’fous d’moi ?! »

Sans mot dire, et un coup de pied dans le derrière, le gamin quitta le champ au pas de course, se dirigeant vers l’atelier.

Passant sous l’auvent, l’enfant jeta un coup d’œil circulaire avant de regarder dans la pièce, par la grande porte. Les outils trainaient de-ci de-là, les cadres étaient tantôt droits, tantôt renversés. Là, sur la droite près de l’établis, les bacs de séchage destinés aux pièces de petites et moyennes tailles étaient encore incrustés de cristaux de sel.

Un pas lourd et maladroit martela le sol de bois, dans son dos.

« Dépêche-toi ! Et après t’iras dans la boutique. Des clients arrivent… je les sens… » ajouta l’homme en flairant l’air de la pièce.

Sans mot dire, il s’activa.

Le tumulte de son exercice résonnait jusque dans la pièce voisine où l’homme s’employait à racler la chair encore collée à quelques peaux fraîchement livrées. Tout ceci pris presque l’heure entière avant que le calme ne regagne les lieux. Quelques pas résonnèrent ensuite au rythme d’une course vive. Un bruit de perles de bois valseuses emplit le couloir et la pièce, puis des voix lointaines ricochèrent depuis l’avant-boutique.

Les lèvres de l’homme se crispèrent légèrement, affichant une bribe de sourire, tandis qu’il poursuivait son travail en écoutant les échanges qui parvenaient jusqu’à lui.
Dernière édition par Tadann le 19 oct. 2017, 16:51, édité 2 fois.
Tadann
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08 oct. 2017, 12:22

[Ambiance]

Automne 536, Saïtlyn a 8 ans

Le feu brûle vivement dans la cheminée, cette grande cheminée source de chaleur, de réconfort et de tumulte. Les yeux perdus dans son potage, il n’entend plus le bruit qui règne autour de lui.

Il ne voit plus la bouche de son voisin d’en face mastiquer lentement et avec force un morceau de viande qui se mélange au pain. Dans sa barbe, un fil de sauce réduite joint les poils. Déglutissant et posant sa tranche de pain, il saisit sa chope pour la porter à sa bouche. En quelque traits, la voilà vide et reposée brutalement sur la table.

« — Isen ! Une autre !  Hurle-t-il à la serveuse.
— Ça vient !
— Non ! En fait ! Double-la ! »

Ni une ni deux, un deuxième récipient rejoint le premier qui, à nouveau, est rempli ; débordant de mousse.

« Et bah ! T’manges pas ? »

Les yeux de l’enfant se relevèrent pour regarder le visage du barbu. Il lui adresse un signe de tête affirmatif et saisit son pain.

À la table d’à côté un groupe de gardes chante, crie et rit aux éclats. Virilement, l’un lance une tape dans le dos de son camarade. Ils ont un accent étrange, ou alors est-ce la vinasse qui les fait parler ainsi, la langue collante et l’articulation difficile.

Qu’il est bon ce potage… Gwen a toujours été une excellente cuisinière. Autant qu’il ait pu se rappeler, Jeeda n’a jamais cuisiné, et chaque midi, chaque soir leur cul est rivé sur les bancs de la taverne. L’un des seuls avantages du mariage, dit-il, c’est « qu’y a une rombière pour faire l’gueuleton ! Mais bon… Quand t’connais une cuisinière comme Gwen… ! ». Il est vrai… Pour ça Jeeda ne se trompe pas. Pour reconnaître les talents qui servent sa fainéantise, il est aussi fort que pour vider des chopines.

Mais ça, l’enfant ne le comprend pas. Il est encore petit. Il comprend certes beaucoup de choses, mais semble hermétique à certaines réalités. Ça viendra. Le temps sera là pour les lui enseigner.


[Fin d'Ambiance]
***
D’un côté une torche, de l’autre le corps quasi-inanimé de l’homme, le garde avançait tant bien que mal en trainant la carcasse bien bâtie de Jeeda.

« C’est par où, petit ? » demanda-t-il à l’enfant.

Ce dernier ne répondit qu’en pointant une rue qui fuyait vers la mer, sur la droite de l’entrée de la taverne.

« L’idéal aurait quand même été que vous preniez une chambre, tu crois pas ? »

Il n’eut pour réponse qu’un signe négatif du chef.

« T’es pas le genre bavard, toi… »

Silencieusement, Saïtlyn prit les devants, s’assurant que le garde ne le perde jamais de vue. Sur les murs blancs des bâtisses et bâtiments trônaient épisodiquement des lampes à huile. Ces lampes que la garde avait tenu à faire installer afin de mieux pister d’éventuels délitants. Ils marchèrent ainsi jusqu’à arriver à la tannerie.

« C’est là. »

Le garde passa la torche au gamin avant de déposer l’homme contre le mur de l’échoppe.

« — Alors ce type est le fameux tanneur dont on parle… ? On n’aurait pas dit, comme ça, dit-il en tournant son regard vers Saïtlyn. Tu as pas besoin d’aide pour le coucher ?
— Han-han… répondit l’enfant en accompagnant son élocution d’un signe de tête négatif. Merci pour le transport.
— Mais… ça va aller ? » ajouta-t-il, dubitatif.

Sans répondre, le gamin inséra l’un des clés du trousseau qu’il manipulait depuis quelques secondes dans la serrure de la porte. Il disparut dans la pièce éclairée par la lampe située sur la façade d’en face et réapparut quelques instants plus tard, une petite bourse de cuir à la main.

Il s’approcha alors de Jeeda, lui basculant la tête légèrement vers l’arrière puis lui présenta la bourse avec le lacet délié. Instantanément, l’homme sursauta, bousculant le gamin avec force qui atterrit sur le postérieur.

Abasourdi, le militaire regardait Saïtlyn sans comprendre.

« Du clou de… girofle, je crois. Il paraît que c’est efficace... »

Grognant à quelques reprises, Jeeda se redressa tant bien que mal pour faire face au garde qu’il dévisagea.

« — Eeeeh… t’es qui ? demanda-t-il en se penchant vers le garde, adressant à ses narines son haleine de poivrot.
— Le gars qui…
— Il vous a porté jusqu’ici. Heureusement… sinon vous auriez dormi avec les cochons. »

Elle était basse, calme et presque fragile. Cette voix correspondait en tout point à celle d’un bambin de sept-ans, à l’exception de l’aplomb qui y régnait. Et même sans agressivité, elle n’invitait qu’à l’écouter.

« Allons… rentrez dormir. Les grandes pièces doivent être traitées demain, » ajouta-t-il.

Sans mot dire, Jeeda tituba pour entrer dans la boutique. Saïtlyn quant à lui se tourna vers le garde.

« — Tenez… lui annonça-t-il en lui tendant quelques pièces. Payez une tournée à vos camarades.
— Non, non ! s’empressa le garde de répondre en agitant les mains. Garde-les.
— Tenez. C’est toujours moins qu’une chambre. Un silence s’installa un instant avant qu’il ne le brise de nouveau. Passez à l’échoppe, il faut remplacer votre sac.
— Mon sac ? Oh…
— Celui que vous leur avez confié. Je vous ferai un prix.
— Attends… tu travailles ici ?
— Je vis ici.
— Et tu vends des objets ? Tu sais compter ? »

Saïtlyn posa ses yeux sur le visage du garde, le détaillant pour la première fois.

« Je viens de vous donner deux couronnes d’argent et treize de cuivre. Ça devrait couvrir les frais pour huit cervoises. Et peut-être même que vous aurez un fond liqueur… »

L’homme regarda l’enfant, surpris.

« — Et… Tenez. Ça vous servira probablement, annonça le garçon en lui jetant le petit sac de cuir qu’il avait précédemment refermé.
— Et bien… merci…
— A bientôt. N’hésitez pas à passer. »

Il se tourna et ferma la porte derrière lui, sans cérémonie, ni signe à l’égard de son interlocuteur.
Dernière édition par Tadann le 19 oct. 2017, 16:53, édité 1 fois.
Tadann
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13 oct. 2017, 10:33

[Ambiance]

Automne 528, 9 semaines après le décès de Ditbert

Au loin les lumières de la petite cité illuminaient l’horizon. Renâclant, les chevaux peinaient à avancer sur la sente bourbeuse. Régulièrement les roues de la charrette s’enfonçaient dans la terre meuble et détrempée, creusant la boue en sillons pour n’en ressortir que difficilement. La pluie battante frappait la peau et les étoffes, périodiquement illuminée par les éclairs qui, zébrant le ciel, faisaient briller les gouttes telles des cristaux et mettaient en exergue le relief du tapis de nuages qui dominait les têtes.

Le vent emportait les feuilles roussies par la saison, et faisait se tarir la vigueur des sons du voyage et de l’orage. Encapuchonné, l’homme releva la tête pour estimer le temps qu’il restait à subir la route et les intempéries. Un cri lui parvint entre deux bourrasques, le faisant se retourner pour observer ses passagers.

La tunique partiellement défaite pour faciliter ses mouvements, la femme s’était recroquevillée sur son sein dénudé pour s’assurer que le nourrisson qu’elle tenait profite de quelques gouttes de lait sans goûter à celles de pluie. Mais la source s’épuisait et plus rien ne pouvait calmer ses pleurs. Elle caressa son visage lui murmurant quelques paroles douces dans un langage vernaculaire. Puis elle approcha la tête de l’enfant de sa poitrine avant de presser cette dernière avec toute la force qu’elle pouvait, priant intérieurement de toutes ses forces les dieux de disposer d’un peu de nourriture pour son enfant.

L’homme la regarda longuement, les pupilles dissimulées dans l’obscurité de sa capuche. Bien qu’il l’eût dominée sans en pouvoir voir le visage, il perçut cette larme gonfler, perler sur sa joue avant de se perdre au milieu de l’averse. Il sentit un déchirement dans sa poitrine et la tristesse envahir son âme. Puis, se retournant, il masqua ses sanglots à la dame, préférant se reconcentrer tant bien que mal sur la fin du voyage. Arrivant au pont, la garde qui se trouvait là les héla :

« — Halte ! Qui va là ? Que voulez-vous ?!

— Par pitié messire, répondit-il en retirant son couvre-chef, laissez-nous passer. Nous venons rendre visite à mon frère.

— On n’entre pas dans LightHaven la nuit ! Ordre du capitaine !

— Je vous en prie… Nous sommes frigorifiés et mon fils ne survivrait pas à une nuit dehors… »

Des pleurs s’élevèrent de l’arrière de la charrette. Le garde en fit le tour et se pencha pour voir ce qui s’y trouvait. Il tomba alors nez à nez avec la mère et son enfant. La pluie se fit seule actrice pendant un instant, ricochant sur les armures et les casques dans un tintement si caractéristique. La main du garde resta posée sur le bord de la charrette pendant quelques secondes seulement, mais elles parurent des minutes entières pour les deux paysans. Puis l’homme leva la tête vers le cocher.

« — Bon… allez-y, annonça-t-il résigné.

— Sergent…

— La ferme, Sedna, répondit-il sèchement au soldat qui s’approchait.

— Mais on ne les a même pas fouillés ! »

Le sergent pointa leurs vêtements et montra leur charrette vide.

« Où veux-tu qu’ils cachent des armes ? »

Le deuxième garde baissa la tête, conscient qu’il ne remporterait pas ce débat. Le sergent se tourna de nouveau vers l’homme :

« — Comment vous appelez vous ?

— Bjïarn, Messire. Nous venons de Windhowl.

— Windhowl, hein ? Qui est ce frère que vous venez voir ?

— Il s’appelle Jeeda. Il a une…

— Une tannerie, oui. Un homme un peu turbulent, je l’ai croisé une fois... ou deux. Je vous ai à l’œil, Bjïarn, vous ne devez votre passage qu’à l’enfant. Tâchez d’être plus discret que votre frère. »

Lui souhaitant la bénédiction d’Artherk, le fermier pressa son attelage qui franchit le pont de la petite ville alors en pleine reconstruction. Il suivit la route de glaise longeant le cimetière puis tourna à gauche sur la première route pavée. Il prit ensuite sur la droite, en face d’une enseigne qui semblait indiquer une taverne puis suivit les murs blancs qui se découpaient dans l’obscurité humide de cette nuit d’automne. Il croisa la route d’une patrouille dans laquelle chacun de ses membres les dévisagea. Échappant néanmoins à un contrôle ils poursuivirent leur chemin.

« — C’est encore loin ? lança alors la douce voix de la femme.

— Non… Au bout de la rue seulement. »

Bjïarn conduisit l’attelage sur quelques dizaines de mètres encore puis vint l’immobiliser devant un grand bâtiment au-dessus duquel semblait trôner un énorme chaudron débordant d’eau. Il le regarda longuement, semblant ne pas croire à ce qu’il voyait. Pour quelle raison cette réserve se trouvait-elle là ?

Quand sa femme eût fini de descendre, il l’accompagna jusqu’à la porte d’entrée en la soutenant. A trois reprises son poing frappa sur le bois de l’accès. Rien… Il recommença. Toujours rien. À la troisième tentative cependant, il put voir par la lucarne le rayon d’une lumière vacillante. Le loquet émit un cliquetis métallique et la porte s’ouvrit. Apparemment, le couple était attendu.
Dernière édition par Tadann le 02 nov. 2017, 18:17, édité 3 fois.
Tadann
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18 oct. 2017, 13:26

[Ambiance]

Été 539, Saïtlyn aura bientôt 11 ans

La Reine Rose : c’était ainsi qu’il l’appelait en son for intérieur. Une sorte d’affection qu’il gardait secrète comme s’il avait s’agit de ces amours d’enfants qu’il faut protéger à tout prix. LightHaven se réveillait doucereusement sous la caresse matinale des premiers rayons du soleil. Dans les rues bordées tantôt d’un rose pâle et accueillant, tantôt de ces nuances de bleu léger, le calme régnait et seuls les derniers gardes ou les premières âmes vivaient.

Saïtlyn, mains dans les poches, remontait le long de la rue qui partait de la tannerie. Arpentant calmement les allées, il aimait gouter cet air frais des matins d’été, profitant du repos de la ville endormie pour laisser exploser ses sensations. S’attardant sur chaque détail visible, chaque odeur – bien qu’elles eussent parfois été peu agréables – chaque trait caractéristique de la baronnie.

La Reine Rose…

L’enfant suivit l’odeur de cuisson qui le guidait, comme chaque matin, à partir de la place du marché. Il passa par une ruelle, évita une flaque d’eau restante de la veille, tourna sur la gauche puis sur la droite pour entrer dans une allée de taille moyenne dont le pavé incliné formait un caniveau central. Tout au bout, faisant l’angle, la porte du fournil était grande ouverte, laissant échapper ces émanations de pâte cuite. Il alla, tranquillement, le long du chemin puis franchit le pas de porte.

« — Bonjour ! lança-t-il à, semblait-il, personne.

— Saïtlyn ! » s’exclama une voix puissante depuis l’arrière-boutique où un ardent brasier projetait de chaudes lueurs partout sur les murs.

Un bruit d’ustensile en métal résonna puis des pas se firent entendre, approchant avec lenteur. Un homme avec un tablier apparut dans l’encadrement.

« — T’jours à l’heure, n’est-ce pas ? lança le moustachu bien portant en lui souriant. J’te mets comme d’habitude ?

— S’il vous plaît, oui, répondit calmement le gamin.

— Alors une belle miche pas trop cuite ! Sacrilège que d’manger c’pain là comme ça !

— Je sais… mais Jeeda va encore s’énerver si elle ne lui plait pas.

— T’faut quelque chose d’plus ? T’sais qu’j’arrête vite hein ? rétorqua l’homme en mettant ses mains sur ses imposantes hanches qu’un ventre rondouillard accompagnait.

— Han han… répondit-il en adressant un signe négatif de la tête. Il déposa quelques pièces sur le comptoir et attrapa le pain. En tout cas… vous nous faites gagner un temps fou. J’espère que ça continuera.

— Et en plus c’bon ! C’pas donné à tous d’faire du bon pain ! C’t’une sacrée idée qu’l’a eu, Eilwen!

— D’ailleurs… reprit-il en s’arrêtant pour se retourner vers le boulanger. L’école de magie, c’est ça ? Elle aime ce qu’elle fait?

— Baaaah… T’sais, j’en sais trop rien hein ! Les coursiers c’pas donné. Et d’toute façon j’pourrais même pas lire c’qu’el’m’dit…

— Oui, je comprends… Si jamais elle vous écrit, dites-le-moi, je vous aiderai.

— T’sais aussi lire ? lui demanda l’homme, écarquillant les yeux.

— Orwen y tient… Sinon je lui sers à rien.

— Pfff… Ces trucs… C'est toujours compliqué avec ces types ! Tu d’vrais pas traîner avec eux ! J’comprends pas comment Jeeda t’laisse avec ces gens ! Ils sont trop différents.

— Peut-être… Mais sans ça, vous n’auriez ni fournil, ni tenue de compte, répondit-il en lui adressant un faible sourire.

— Et ouais ! s’exclama-t-il. D’ailleurs… Tu auras du temps ce soir ? ajouta l’homme.

— Oui, oui. Je passerai, pas d’inquiétude. Vous ne serez pas en retard, Fridgar.

— Bien ! Alors je t’attends hein ! Oublie pas ! »

[Fin d'ambiance]
***

Lorsqu’il arriva à sa porte il constata que le soleil avait quelque peu gravit le ciel, emportant avec lui ses nuances du point du jour. Le gamin se retourna pour regarder la rue qui s’agitait petit à petit. Au loin, les cloches se mirent à sonner, marquant le véritable début de journée. Il soupira. Avant d’entrer dans le magasin il ramassa le petit seau qui se trouvait devant l’accès. Une fois à l’intérieur, il prit l’escalier qui se situait directement sur la gauche, passa le vestibule d’entrée et franchit la porte.

Dans la pièce le désordre régnait encore sur la table. Le repas de la veille n’était que partiellement nettoyé et les gamelles encore à débarrasser demeuraient les mêmes. Les mêmes que ces bouteilles pour part renversée, pour part entassées dans le saladier. Au milieu de ce capharnaüm, le corps d’un homme gisait, ronflant comme un cor de l’armée. Le gamin s’approcha doucement de ce dernier puis posa la main sur son épaule. Il secoua légèrement le tanneur en l’appelant à voix basse. Lorsque l’homme daigna redresser la tête, il toisa le gamin.

« — Mmm… Qu’est-ce tu veux.. ?

— C’est l’heure… allez, réveillez-vous, il y a des selles et la pièce renforcée à finir impérativement aujourd’hui.

— Tu m’fatigues…

— Allez courage… nous serons payés gros. On a besoin de cet argent. »

À son tour, l’enfant se redressa et déposa le pain devant l’homme. Il mit de côté bouteilles et pichets et apporta le petit seau dont il retira la ficelle de chanvre puis le linge humide qui le couvrait.

« La vieille Beitris ne devait plus avoir de chèvre. Il sent le brebis, celui-là… » dit-il en versant le lait dans deux godets propres, ce qui n’arracha qu’un haussement d’épaules au vieillard.

Ils déjeunèrent prestement, enfin surtout le marmot, qui s’empressa de se lever pour entasser toute la vaisselle dans un grand bac de bois. Il y versa quelques seaux d’eau qu’il préleva dans le tonneau se trouvant juste à côté, puis il se dirigea vers la porte de la pièce.

« — Je vais ouvrir. Ce soir je devrai pas tarder, Fridgar a besoin de moi pour recompter ses recettes. Et Orwen a des choses à me faire faire, après ça.

— Ouais, ouais…

— Non mais… ça veut dire qu’il faut que j’aie livré les selles à la caserne avant d’y aller. Donc il faut se dépêcher. »

Sans un mot supplémentaire, il passa la porte et Jeeda l’entendit dévaler l’escalier puis ouvrir la porte. De son côté, le vieil homme se leva pour traîner son corps jusqu’à la fenêtre. Il but une gorgée de son lait.

« Pfff… quel gamin bruyant… » lança-t-il pour lui-même. La journée semblait entamée bien trop tôt.

Pourtant le blanc des murs de torchis et de plâtre avait repris sa place, reléguant la Reine Rose au rang de souvenir. Mais chacun connaissait sa persistance ; elle revivrait bien assez vite.
Dernière édition par Tadann le 02 nov. 2017, 18:17, édité 1 fois.
Tadann
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19 oct. 2017, 17:06

[Ambiance]

Un jour de 529

Un grand froid régnait dehors. L’obscurité s’était abattue depuis quelques minutes déjà et la bise sifflait dans les allées de pierre. Par la lucarne entrouverte de la masure perçait une lumière vive, tranchant le noir qui dominait la pierre, mettant à nu sa clarté. Par l’espace du cadre entrebâillant, si l’on prêtait l’oreille, l’on pouvait entendre s’élever le cri d’un enfant. Une ombre s’approcha de la fenêtre, s’immobilisant devant. Elle se pencha et tendit les bras vers le sol. Puis, redressée, elle sembla se balancer légèrement tout jetant un regard dissimulé par les ombres que provoquaient les jeux de l’éclairage.

Il faisait chaud dans la pièce, si chaud que la femme ne craignait pas pour la santé du bébé en ouvrant légèrement la fenêtre. Alors qu’elle tentait de bercer le nourrisson elle s’attarda devant l’accès, observant, à quelques dizaines de mètres de là, la lumière de l’atelier de Jeeda. Il était tard pour travailler encore…

Le cri de l’enfant perça le silence de la pièce, couvrant les quelques crépitements du foyer qui se trouvait dans son dos. Elle amplifia son mouvement, baissant un regard maternel sur l’enfant :

« Hé, hé, hé… calme toi, lui demanda-t-elle d’une voix douce et chaleureuse. Calme toi… »

Sa voix entama de fredonner une berceuse qui, librement, emplissait les lieux d’avantage de chaleur si ce fut encore possible. La mélodie, résonant entre les murs de l’espace peu meublé, allait en s’éteignant à chaque rebond sur les parois et semblait emporter avec lui la morsure du froid, l’empreinte des cauchemars, le pesant de la nuit tombée ainsi que tout ce qui semblait alourdir les cœurs. Elle emporta même les pleurs du bébé, les rendant aussi irréels qu’un songe.

Caressant son visage, elle plongea les yeux dans son regard viride, récoltant au passage un sourire humide.

« Je préfère ça… admit-elle en lui souriant. Garde ce sourire, p’tit bonhomme, tu en auras besoin toute ta vie. »

Elle releva la tête pour regarder à nouveau cet atelier qui ne semblait jamais s’éteindre. Beitris soupira.

« Oui… toute ta vie. »
Tadann
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25 oct. 2017, 22:08

An 540

L’homme, vêtu d’une longue tunique en velours couleur sang de bœuf, se baladait dans les rues de la baronnie. Il longea la grande allée, passa devant le temple, tourna sur sa gauche et constata que les mêmes voix s’élevaient toujours des mêmes endroits. Ralentissant son pas originellement déjà traînard, il jeta son regard dans l’ouverture de la taverne y notant toutefois la présence d’un nouveau visage. Souriant sous sa capuche, il reprit son chemin en direction du marché.

Là, entre les étals, il s’arrêta de-ci de-là, examinant les articles divers et variés. Profitant de la présence de produits frais, il s’offrit même une mandarine en collation et manqua de la faire tomber lorsque quelqu’un le bouscula en se retournant.

Son premier réflexe fut de vérifier qu’aucun de ses effets n’était manquant, puis il reprit son cheminement avec autant cette même légèreté qui l’avait menée jusque-là. Il emprunta la sortie est, et franchit la zone des vergers avant de remonter le long des premières cultures de la cité, laissant sur son chemin les épluchures de son fruit. Ses pas le guidèrent jusqu’à une vitrine où étaient disposés sur présentoir nombre de besaces, sacs à dos et pièces de cuir ouvragées en tout genre. À travers le verre déformant vaguement sa vision se dessinaient, un peu plus loin dans l’échoppe, les silhouettes de mannequins vêtus de pièces renforcées et de cuirasses. Portant le dernier quartier de son fruit pour terminer d’en apprécier le goût sucré, il sourit puis entra.

Le son de deux clochettes retentit entre les murs. Il ricocha sur le comptoir, traversa tant bien que mal le rideau de perles de bois qui le diffracta dans le couloir consécutif à la pièce de vente. Frappant sur les divers instruments, outils, bacs, il traversa l’atelier avec peine… mais suffisamment pour jouer son office.

Saïtlyn se redressa, sortant ses bras jusqu’ici plongés dans un mélange d’eau et d’écorces. Dans ses mains se trouvait, fermement agrippée, une pièce de peau de la moitié de sa taille.

« J’arrive ! hurla-t-il en examinant minutieusement le bord de la pièce de peau. C’est bon pour celle-là…» ajouta-t-il pour lui-même.

Le gamin sortit totalement la pièce de son bac et monta sur l’escabeau qui se trouvait derrière lui. Il agita frénétiquement la toile qui répandit du liquide en gouttelettes dans toute la pièce. Puis, satisfait de ce premier désengorgement, il alla la disposer sur un chevalet, s’appliquant à ne laisser aucune portion de la peau sans tension.

S’essuyant sommairement les bras il emprunta le couloir, passa le rideau de perle et s’approcha du comptoir.

« — Oh… C’est vous, lança-t-il au client.

— C’est un accueil bien peu chaleureux… Tu procèdes ainsi avec tous tes clients ? répondit l’homme en lui adressant un regard malicieux.

— Non… admit l’enfant. Il vous faut quelque chose ?

— Mmm… Je ne sais pas, pour l’instant. Je viens surtout m’assurer du bon fonctionnement de ma boutique, ajouta-t-il en esquissant un sourire presque narquois.

- S’il s’agissait de votre boutique, je comprendrais, » rétorqua Saïtlyn en fronçant légèrement un sourcil.

Sa réaction fit rire son client qui savait le garçon bien peu réceptif à l’humour dès qu’il s’agissait du travail qui était fait à la tannerie. De toute évidence, il n’était en plus pas l’heure de plaisanter car Orwen avait depuis longtemps deviné que les jours sans client mettaient le gamin d’humeur grincheuse.

« — Jeeda n’est pas là ?

— Si, il est derrière. On a fini de graisser les peaux de la semaine dernière et il a commencé une nouvelle besantine.

— Une besantine ? se surprit l’homme.

— Oui, admit Saïtlyn en haussant les épaules. Une commande de je ne sais qui. J’ignore qui porte encore ça. Les renforts en plaque sont plus efficaces.

— Mais moins souples… et plus lourds, lui fit-il remarquer. Mais passons. C’est toi que je venais voir.

— Un problème ? demanda-t-il en levant la tête.

— Non… Mais je risque d’avoir besoin de toi et de tes bras. Ton esprit est assez entraîné, depuis le temps. Il est temps maintenant de te renforcer un peu physiquement.

— Pour ?

— Je risque d’avoir besoin de compagnie bientôt… il se peut que je doive m’éloigner d’ici. Or les plaines et les montagnes sont parfois dangereuses et nous ne serons pas trop de deux ou trois pour veiller les uns sur les autres.

— Et donc il faut que je vous accompagne.

— Exactement. Mais, rassure-toi, nous devrions être trois, du moins les premiers temps.

— Qui est la troisième personne ?

— Un vieil ami. Un ami qui me doit un service et dont on profitera de la présence pour t’apprendre quelques petites choses utiles. Retrouve-moi, ce soir devant le temple. Et dis à Jeeda qu’il lui faudra bientôt travailler sur un projet tout particulier pour toi. »

Orwen, qui s’était penché pour pouvoir converser sur un ton plus discret, se redressa et lança un sourire au gamin. Ce dernier ne tarda pas à lui poser quelques questions supplémentaires : d’abord sur la nature de ces déplacements et surtout sur le devenir de la boutique lorsqu’il aurait à s’absenter.

De toute évidence, Orwen avait planifié les choses et semblait avoir pensé à tout. Il quitta l’échoppe, laissant planer un voile de mystère sur ses desseins – parce qu’il n’allait évidemment pas satisfaire immédiatement cette curiosité qu’il avait lui-même faite naître chez Saïtlyn – et en laissant le gamin à ses réflexions.

Perplexe, ce dernier retourna à ses bacs pour ensuite, plusieurs minutes plus tard, aller prévenir Jeeda de son programme de fin de journée et surtout… de ce projet particulier. Évidemment, la nouvelle ne pouvait pas être bien accueillie. Mais le temps viendrait pour en parler de nouveau.
Tadann
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29 oct. 2017, 02:26

An 540

Dans les rayons, des lames de toutes tailles, de toutes formes et de tous types. Debout sans dire un mot, il regardait le métal briller au gré de la lumière entrante. Derrière lui, les trois hommes conversaient à voix presque basse. Timidement il avança la main, doigt tendu, et la posa sur le fil d’une épée.

« Hep ! Fais gaffe, gamin ! C’est pas un couteau de cuisine ! »

Surpris par l’interpellation du marchand Saïtlyn se retourna vivement, entaillant le bout de son index droit. Il ne le sentit même pas et il fallut qu’on le lui montre pour qu’il en prenne conscience. Orwen lui sourit alors.

« — Cela tombe bien, ce n’est pas un couteau de cuisine que nous cherchons.

— Tiens donc ?! rétorqua le marchand.

— En effet. Notre jeune ami ici présent, dit-il en faisant le tour du gamin pour venir lui poser les deux mains sur les épaules en faisant face à l’armurier, est venu pour vous soulager de l’une de ces lames contre quelques deniers.

— Quoi… lui ? l’homme le jaugea pendant un instant. Ha ! Ah ha ha ha ha ! Vous êtes pas sérieux, m’sire !

— Ne m’appelez pas messire, soupira Orwen. Et si, je suis on ne peut plus sérieux.

— C’est un gringalet, voyons ! Comment voulez-vous qu’il utilise quelque chose qui pèse plus que ses deux bras réunis ?

— Je m’occupe de cette partie-là… annonça alors le troisième homme qui demeurait au milieu de la pièce.

— Et bah ! Vous avez bien du temps à perdre… ajouta le marchand sur un ton moqueur. Allons bon… Alors quelle lame te plait gamin ? Choisis vite, de vrais clients pourraient arriver… »

Un court silence gagna la pièce. Orwen laissa Saïtlyn aller à sa guise alors que Jaïkù le suivait. Alors qu’ils s’immobilisaient tout deux devant une vitrine inclinée contenant des lames courtes et des poignard, l’homme s’inclina légèrement vers le jeune garçon.

« — Prends ton temps, Saïtlyn. Ce n’est pas un choix anodin car lorsque nous partirons, cette lame, quelle qu’elle soit, sera ta compagne la plus fidèle.

— Mais… je n’ai aucune idée de laquelle j’ai besoin, lança timidement le garçon en regardant son interlocuteur.

— Regarde les bien… il y en a probablement une qui, parmi tout cet arsenal a autant besoin de toi que ce que tu as besoin d’elle. »

Il lui sourit. L’enfant, lui, n’était pas certain de bien entendre ce qu’on venait de lui dire. Il recula d’un pas et reprit sa marche entre les étals sous l’œil avisé de son instructeur. À plusieurs reprises il s’arrêta, observa, effleura… mais rien. Il ne voyait et ne pensait que ses doutes intimement liés à son ignorance. Il sentit le soupir du tenancier dans son dos, ce dernier fut poliment invité à vaquer à ses occupations par Orwen qui, vaguement excédé par son comportement, tentait de ne pas perdre patience.

Soudain le gamin s’immobilisa. Sur le feutre pourpre, là, accrochée par deux équerres. Elle trônait au milieu d’exemplaires tous plus luisants les uns que les autres. Bien plus sobre, bien plus neutre… en fait, elle n’avait rien de particulier. D’architecture classique, sans ornement particulier. La fusée de l’arme était faite de cuir brun très sombre et son pommeau d’acier. Au-delà de sa garde noire, le talon accueillait une lame de neuf centimètres de large qui filait en se rétrécissant progressivement. Une gouttière centrale, tendue sur les trois-quarts de sa longueur, était cernée par les deux tranchant légèrement arrondis au bout avant de terminer en pointe taillée pour l’estoc.

Jaïkù sourit et se tourna vers Orwen.

« C’est bon… dit-il avant de s’approcher du gamin et de décrocher l’arme pour la lui remettre. Il l’emmena au centre de l’échoppe et se plaça face à lui. Maintenant, attrape-la avec ta main droite et soulève sa lame. »

Silencieusement et délicatement, il s’exécuta. La pointe quitta le parterre de bois et, tout en tremblant, vint s’immobiliser à l’horizontale, tandis qu’il la tenait poing fermé, paume vers le ciel et le bras plié.

« Respire, Saïtlyn. Calme-toi. »

Il prit une longue et mince inspiration. La lame cessa de vibrer. JaÏkù sourit.

« — Elle te ressemble. Légère, sobre… passe-partout.

— Efficace… ajouta Orwen. »

Les regards des deux hommes se croisèrent semblant tomber d’accord tandis que, derrière eux, le marchand pesta. Saïtlyn regarda Orwen avec interrogation.

« Ne t’en fais pas… il râle parce que tu as choisi un modèle qui ne lui rapportera pas tant que ça. »

Satisfait de la sobriété de son protégé, le mage paya avec un air narquois et profondément satisfait. Il en profita pour récupérer le fourreau de l’arme et tous trois quittèrent l’échoppe.

« Tiens Saïtlyn. Garde la bien. Trouve-toi une ceinture adéquate au magasin de Jeeda et retrouve nous demain soir près des champs. »

Il affirma du chef.

Chacun salua les autres et le gamin prit le chemin de la tannerie. Lorsqu’il arriva, Jeeda avait déjà plié boutique. À la taverne, se dit le garçon. Il monta déposer son bien dans sa chambre et ressortit dans la foulée. Il était temps de manger et de se coucher. Le lendemain promettait une activité éreintante.
Tadann
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30 oct. 2017, 23:30

Printemps 540

Les hommes avaient établi le bivouac depuis près de deux heures et après avoir couru le lapin et fait les feux, Saïtlyn avait retrouvé Jaïkù pour son entrainement quotidien. Quelques semaines déjà qu’il s’entraînait à manier la lame, quelques semaines épuisantes car la maîtrise des armes était une discipline qui nécessitait rigueur et concentration. L’homme avait déjà remarqué l’application qu’il mettait à contrôler ses gestes et le nombre de répétitions qu’il n’hésitait pas à exécuter pour que tout ceci devienne comme une seconde nature.

Alors que les deux effectuaient quelques passes, Saïtlyn leva les yeux sur son adversaire. Les jours passant, il trouvait son instructeur de plus en plus agréable. L’homme parlait dans une juste mesure avait toujours l’attention d’Orwen. Son équipement semblait dater de plusieurs années et, malgré son aspect usagé, il ne tenait pas à en changer. Peut-être était-ce, se disait l’enfant, aussi une question de moyens. Il était vrai que Saïtlyn n’avait aucune idée de comment Jaïkù gagnait sa vie. Évidemment, il se doutait que ce travail d’escorte n’était pas gratuit… à l’inverse de la formation dispensée. Après tout… Orwen, lui-même, avait évoqué une histoire de service à rendre.

« Ne te déconcentre pas ! »

La lame avait frôlé le visage de l’enfant. Il recula, tituba, manquant de se retrouver le postérieur par terre. Jaïkù tendit son épée pour que sa pointe vienne effleurer la gorge du gamin tandis que son plat appuyait sur son menton.

« — Tu es distrait, aujourd’hui…

— Pardon, s’excusa Saïtlyn en écartant de son gant la lame qui le menaçait.

— Tu as un problème ?

— Non, non… pas du tout.

— Bien… Alors on reprend. La nuit tombera bientôt et chaque minute compte. Il marqua un temps avant de poursuivre. Lorsque tu pares un coup de taille pense à ouvrir tes appuis. Si tu gardes les pieds sur la même ligne, même un adversaire moins fort te fera chanceler. »

Face à lui, l’enfant acquiesça.

« Contre quelqu’un comme moi, donc plus grand et plus puissant, n’essaie pas de résister. Casse la distance pour tirer partie de ta plus faible allonge tandis que celle de ton opposant devient un handicap. »

Ils se mirent en garde et entamèrent une nouvelle passe d’armes. En quelques coups, Saïtlyn s’exécutan tel qu’il le lui avait été énoncé. Mais alors que Jaïkù pivotait, posant la main sur sa nuque pour le pousser dans le sens de son mouvement, il trébucha sur le pied de l’homme et s’étala de tout son poids dans la poussière.

« Le tempo est à travailler. Gare aux pièges. Seuls les preux s’affrontent dans les règles. Pillards, voleurs… malfrats. Eux n’auront aucun scrupule. »

L’enfant toussa avant de se mettre à genoux. Puis il attrapa son épée et s’appuya dessus pour se relever.

« — Dois-je me battre selon les règles des vauriens… ? demanda-t-il en se retournant et en frappant sur ses habits pour en retirer la saleté.

— Non… Tu vaux mieux que ça. Mais identifie tes adversaires et adapte-toi. Reprenons. »

Le fer tinta ainsi pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le repas fût cuit. Tous trois se regroupèrent autour des braises et se partagèrent la pitance du jour. Silencieusement, Saïtlyn dégusta sa viande, observant le livre posé à côté d’Orwen. Ce dernier cessa de manger et regarda l’enfant. Leurs regards se croisèrent.

« — Je te sens curieux, lui lança le mage.

— Et bien… hésita l’enfant. Vous ne m’avez toujours pas dit ce que nous cherchons. »

L’homme lui sourit.

« — Des réponses.

— Des réponses à quoi… ?

— Vois-tu… certains de mes amis s’interrogent sur pas mal de choses. Il semble que la carte céleste subisse quelques altérations que nous n’expliquons pas bien, et ceci nous intrigue au plus haut point.

— La carte céleste ?

— Oui… C’est ainsi que nous appelons la configuration du ciel, les étoiles, leur brillance, leur position. Il y a, là-haut beaucoup de choses qui se trament. Des artefacts apparaissent parfois, disparaissent aussi.

— Pourquoi s’intéresser à ça ?

— Parce que le ciel est une partie de ce bas monde. Ce qui s’y passe pourrait avoir de sérieuses répercussions ici. Aussi… il nous faut nous soucier des phénomènes qui s’y jouent.

— Quel rapport avec notre voyage ?

— On dit que, sur cette île qui se dessine dans la baie près de Windhowl, vit un homme qui a consacré beaucoup de temps à l’étude de certaines choses ».

Il se redressa pour tendre un peu son ventre.

« — Je ne sais pas grand-chose de lui, mais son savoir pourrait nous éclairer. Il y a en plus, dans la caverne qui relie cette île à Arakas, des roches tout à fait intéressantes dont on dit qu’elles seraient tombées du ciel. Si nous arrivions à en trouver nous pourrions en apprendre un peu plus sur la composition de notre firmament. Une moue se dessina sur ses lèvres.

— Les larmes de ciel… n’est-ce pas ?

— Tu as entendu parler de ça ?

— C’était dans un des recueils qui se trouvait à la tour des mages, lorsque je vous y ai accompagné.

— Nous craignons tous que ce ne soit qu’un mythe… mais s’il s’avère vrai, ce serait une fantastique chose que d’en savoir plus, » ajouta Orwen en jetant son os de lapin dans le feu mourrant.

L’homme regarda Jaïkù qui lui adressa un léger sourire. Chacun termina son repas puis on se dirigea vers un flanc de montagne qui, grâce à un renfoncement offrait un abri tout à fait correct pour la nuit. Ils s’installèrent tout trois alors que la nuit terminait d’étendre son emprise sur les plaines. Les paupières pleines d’étoiles, Saïtlyn s’endormit comme s’il n’avait jamais connu le sommeil.

***

Le tintement le réveilla en sursaut. Dès lors, un cri s’éleva. C’était la voix de Jaïkù qui, redressé venait de repousser une silhouette au sol.

« Debout ! Levez-vous ! »

Saïtlyn se redressa avec précipitation dégainant son arme plus pour imiter son instructeur que pour réellement se défendre. Il regarda alors à l’entours pour se rendre compte que cinq hommes leur faisaient face. Acculés contre le flanc de montagne, Orwen, Jaïkù et Saïtlyn n’avaient d’autre choix que d’en découdre.

« — Allons messires, ne soyez pas ridicules, annonça l’homme qui se tenait au centre en ricanant. Vous êtes en infériorité. Deux hommes et une demi-portion ne font pas le poids… donnez-nous vos affaires et tout ira bien.

— Alors là, mon brave, vous pouvez bien rêver, rétorqua Orwen.

— Ehé ! Mais c’est qu’y veut jouer, le gentilhomme, hein ? lança l’un d’eux, visiblement celui tout à droite.

— Déposez les armes… vous vous éviterez quelques estafilades, leur dit Jaïkù.

— Vous êtes…

— Tais-toi, Saïtlyn, le coupa son instructeur. Concentre-toi plutôt, ce n’est plus de l’entraînement. »

Ce disant, Saïtlyn remarqua que le changement radical du comportement de Jaïkù. A aucun moment il n’avait lâché du regard ses cinq adversaires. Sa position, bien que similaire à celle de leurs sessions d’entraînement, semblait avoir gagné en intensité. Ses jambes étaient légèrement plus fléchies, et sa main plus ferme. C’est à cet instant que le garçon prit conscience que sa vie était en jeu. Il reporta son regard sur les deux hommes se trouvant le plus proche de lui. Dans son esprit… plus rien n’était clair.

« — Dernier avertissement !

— Attaquez plutôt ! Au lieu de parler ! »

Tout alla très vite. Saïtlyn vit bondir ce qui semblait être leur chef sur Jaïkù. Puis autour des main d’Orwen apparut comme une distorsion avant qu’un cône blanchâtre n’en parte pour aller frapper un de leurs assaillants. C’est alors qu’il entendit un pas rapide sur sa droite, il tourna alors la tête. Trop tard, il était déjà sur lui. Le garçon leva sa lame, la brandissant des deux mains tout en se recroquevillant. Le fer tinta, un corps tomba, roula et s’écarta. Lorsqu’il ouvrit les yeux le dos de Jaïkù se trouvait devant lui, en opposition.

« Saïtlyn ! C’est pas le moment ! »

Alors en lutte à très courte portée avec un deuxième adversaire, Jaïkù tentait par tous les moyens de ne pas se faire dominer. Mais le bandit semblait puissant physiquement. L’enfant se mit à haleter. Il regarda les hommes batailler, chacun empoignant l’autre et tournant doucement autour d’un axe. Un cri l’alerta. C’était le premier homme qui chargeait de nouveau. Le garçon mit sa lame en opposition, déviant tant bien que mal le coup porté. Une chance, son adversaire n’était pas bien plus grand et utilisait une arme plus légère.

Les bras fourmillants, le vertige emplissant son esprit, Saïtlyn se contenta de parer comme il put la série d’assauts le visant. Par chance, il eût l’instinct de se désaxer pour ne pas se retrouver bloquer contre la paroi. Il recula alors pour se rapprocher d’Orwen qui combattait à la dague contre deux hommes.

« Orwen ! »

Le cri lui avait échappé. Puis, tentant de se reprendre, il plaça son arme face à lui et courut le plus vite possible.

Se fichant loin dans la chair, traversant les organes et butant sur quelque chose de dur, la lame vit couler un liquide rouge sur son fil. Les yeux écarquillés l’enfant resta immobile, comme perdu. On l’attrapa par la ceinture et les deux personnes tombèrent par terre. Il regarda, totalement hébété qui l’avait saisi et tomba sur le visage d’Orwen, allongé à côté de lui. Il était désarmé.

Réalisant qu’il était le seul à pouvoir les défendre, Saïtlyn bondit sur ses pieds et se tourna vers son nouvel adversaire.

« J’vais t’saigner gamin. »

Ni une ni deux, l’homme engagea le combat. Il était fort… suffisamment pour que sa lame vienne taillader le bras du garçon malgré sa parade. Sa main gauche quitta lâcha le manche de son épée. C’était critique. Un duel à deux contre deux avec un bras en moins. À peine eut-il le temps d’en faire le constat qu’un autre cône blanchâtre lui frôla le visage et alla percer l’œil de son ennemi. Il se retourna vers Orwen qui lui lança un léger sourire avant de courir ramasser sa dague.

Plus loin, Jaïkù n’arrivait pas à se débarrasser de leur chef.

« Reste avec moi ! » lui lança Orwen.

Évidemment… Mais il fallait faire vite. C’était du trois contre deux. Les bandits le réalisèrent. Dans une pirouette bien exécutée, les deux se retirèrent sans demander leur reste. Saïtlyn tomba assis, fixant le sol sans arriver à réaliser.

À côté de lui, Orwen rangea sa dague tandis que le dernier du trio les rejoignait toujours l’arme à la main. Il se pencha vers l’enfant.

« Ca va gamin ? »

Pas de réponse… Il s’approcha d’avantage et examina son cuir.

« Merde… fais voir ça, lui dit-il en tentant d’écarter la pièce de sa tunique. Mmm… C’est pas grand-chose, tu as du parer le coup assez efficacement, vu la forme de l’entaille. »

Saïtlyn baissa les yeux sur la plaie, sans rien dire. Petit à petit, il recouvrait ses esprits. Il vit alors la main de Jaïkù se placer au-dessus de la plaie. L’homme se mit à marmonner et l’air sembla remuer au tour de ses doigts. L’enfant fronça les sourcils…

« — Ca va aller. Du repos, de la viande pour remplacer le sang perdu…

— Désolé… dit-il en baissant la tête.

— Hein ?

— Désolé… répéta le garçon.

— Le combat réel n’a rien à voir avec l’entraînement. Ça aurait pu mal se passer. On est en vie… c'est une victoire. »

Il fallut plusieurs minutes pour nettoyer les armes. Les hommes fouillèrent les cadavres des trois assaillants laissés sur place. Ils n’en retirèrent que quelques effets puis ils les laissèrent à l’endroit de leur mort. Le reste de la nuit fut calme, même pour Saïtlyn qui ne put fermer l’œil qu’il garda rivé sur le ciel, ses étoiles et ses constellations.
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