30 oct. 2017, 23:30
Printemps 540
Les hommes avaient établi le bivouac depuis près de deux heures et après avoir couru le lapin et fait les feux, Saïtlyn avait retrouvé Jaïkù pour son entrainement quotidien. Quelques semaines déjà qu’il s’entraînait à manier la lame, quelques semaines épuisantes car la maîtrise des armes était une discipline qui nécessitait rigueur et concentration. L’homme avait déjà remarqué l’application qu’il mettait à contrôler ses gestes et le nombre de répétitions qu’il n’hésitait pas à exécuter pour que tout ceci devienne comme une seconde nature.
Alors que les deux effectuaient quelques passes, Saïtlyn leva les yeux sur son adversaire. Les jours passant, il trouvait son instructeur de plus en plus agréable. L’homme parlait dans une juste mesure avait toujours l’attention d’Orwen. Son équipement semblait dater de plusieurs années et, malgré son aspect usagé, il ne tenait pas à en changer. Peut-être était-ce, se disait l’enfant, aussi une question de moyens. Il était vrai que Saïtlyn n’avait aucune idée de comment Jaïkù gagnait sa vie. Évidemment, il se doutait que ce travail d’escorte n’était pas gratuit… à l’inverse de la formation dispensée. Après tout… Orwen, lui-même, avait évoqué une histoire de service à rendre.
« Ne te déconcentre pas ! »
La lame avait frôlé le visage de l’enfant. Il recula, tituba, manquant de se retrouver le postérieur par terre. Jaïkù tendit son épée pour que sa pointe vienne effleurer la gorge du gamin tandis que son plat appuyait sur son menton.
« — Tu es distrait, aujourd’hui…
— Pardon, s’excusa Saïtlyn en écartant de son gant la lame qui le menaçait.
— Tu as un problème ?
— Non, non… pas du tout.
— Bien… Alors on reprend. La nuit tombera bientôt et chaque minute compte. Il marqua un temps avant de poursuivre. Lorsque tu pares un coup de taille pense à ouvrir tes appuis. Si tu gardes les pieds sur la même ligne, même un adversaire moins fort te fera chanceler. »
Face à lui, l’enfant acquiesça.
« Contre quelqu’un comme moi, donc plus grand et plus puissant, n’essaie pas de résister. Casse la distance pour tirer partie de ta plus faible allonge tandis que celle de ton opposant devient un handicap. »
Ils se mirent en garde et entamèrent une nouvelle passe d’armes. En quelques coups, Saïtlyn s’exécutan tel qu’il le lui avait été énoncé. Mais alors que Jaïkù pivotait, posant la main sur sa nuque pour le pousser dans le sens de son mouvement, il trébucha sur le pied de l’homme et s’étala de tout son poids dans la poussière.
« Le tempo est à travailler. Gare aux pièges. Seuls les preux s’affrontent dans les règles. Pillards, voleurs… malfrats. Eux n’auront aucun scrupule. »
L’enfant toussa avant de se mettre à genoux. Puis il attrapa son épée et s’appuya dessus pour se relever.
« — Dois-je me battre selon les règles des vauriens… ? demanda-t-il en se retournant et en frappant sur ses habits pour en retirer la saleté.
— Non… Tu vaux mieux que ça. Mais identifie tes adversaires et adapte-toi. Reprenons. »
Le fer tinta ainsi pendant de longues minutes. Jusqu’à ce que le repas fût cuit. Tous trois se regroupèrent autour des braises et se partagèrent la pitance du jour. Silencieusement, Saïtlyn dégusta sa viande, observant le livre posé à côté d’Orwen. Ce dernier cessa de manger et regarda l’enfant. Leurs regards se croisèrent.
« — Je te sens curieux, lui lança le mage.
— Et bien… hésita l’enfant. Vous ne m’avez toujours pas dit ce que nous cherchons. »
L’homme lui sourit.
« — Des réponses.
— Des réponses à quoi… ?
— Vois-tu… certains de mes amis s’interrogent sur pas mal de choses. Il semble que la carte céleste subisse quelques altérations que nous n’expliquons pas bien, et ceci nous intrigue au plus haut point.
— La carte céleste ?
— Oui… C’est ainsi que nous appelons la configuration du ciel, les étoiles, leur brillance, leur position. Il y a, là-haut beaucoup de choses qui se trament. Des artefacts apparaissent parfois, disparaissent aussi.
— Pourquoi s’intéresser à ça ?
— Parce que le ciel est une partie de ce bas monde. Ce qui s’y passe pourrait avoir de sérieuses répercussions ici. Aussi… il nous faut nous soucier des phénomènes qui s’y jouent.
— Quel rapport avec notre voyage ?
— On dit que, sur cette île qui se dessine dans la baie près de Windhowl, vit un homme qui a consacré beaucoup de temps à l’étude de certaines choses ».
Il se redressa pour tendre un peu son ventre.
« — Je ne sais pas grand-chose de lui, mais son savoir pourrait nous éclairer. Il y a en plus, dans la caverne qui relie cette île à Arakas, des roches tout à fait intéressantes dont on dit qu’elles seraient tombées du ciel. Si nous arrivions à en trouver nous pourrions en apprendre un peu plus sur la composition de notre firmament. Une moue se dessina sur ses lèvres.
— Les larmes de ciel… n’est-ce pas ?
— Tu as entendu parler de ça ?
— C’était dans un des recueils qui se trouvait à la tour des mages, lorsque je vous y ai accompagné.
— Nous craignons tous que ce ne soit qu’un mythe… mais s’il s’avère vrai, ce serait une fantastique chose que d’en savoir plus, » ajouta Orwen en jetant son os de lapin dans le feu mourrant.
L’homme regarda Jaïkù qui lui adressa un léger sourire. Chacun termina son repas puis on se dirigea vers un flanc de montagne qui, grâce à un renfoncement offrait un abri tout à fait correct pour la nuit. Ils s’installèrent tout trois alors que la nuit terminait d’étendre son emprise sur les plaines. Les paupières pleines d’étoiles, Saïtlyn s’endormit comme s’il n’avait jamais connu le sommeil.
***
Le tintement le réveilla en sursaut. Dès lors, un cri s’éleva. C’était la voix de Jaïkù qui, redressé venait de repousser une silhouette au sol.
« Debout ! Levez-vous ! »
Saïtlyn se redressa avec précipitation dégainant son arme plus pour imiter son instructeur que pour réellement se défendre. Il regarda alors à l’entours pour se rendre compte que cinq hommes leur faisaient face. Acculés contre le flanc de montagne, Orwen, Jaïkù et Saïtlyn n’avaient d’autre choix que d’en découdre.
« — Allons messires, ne soyez pas ridicules, annonça l’homme qui se tenait au centre en ricanant. Vous êtes en infériorité. Deux hommes et une demi-portion ne font pas le poids… donnez-nous vos affaires et tout ira bien.
— Alors là, mon brave, vous pouvez bien rêver, rétorqua Orwen.
— Ehé ! Mais c’est qu’y veut jouer, le gentilhomme, hein ? lança l’un d’eux, visiblement celui tout à droite.
— Déposez les armes… vous vous éviterez quelques estafilades, leur dit Jaïkù.
— Vous êtes…
— Tais-toi, Saïtlyn, le coupa son instructeur. Concentre-toi plutôt, ce n’est plus de l’entraînement. »
Ce disant, Saïtlyn remarqua que le changement radical du comportement de Jaïkù. A aucun moment il n’avait lâché du regard ses cinq adversaires. Sa position, bien que similaire à celle de leurs sessions d’entraînement, semblait avoir gagné en intensité. Ses jambes étaient légèrement plus fléchies, et sa main plus ferme. C’est à cet instant que le garçon prit conscience que sa vie était en jeu. Il reporta son regard sur les deux hommes se trouvant le plus proche de lui. Dans son esprit… plus rien n’était clair.
« — Dernier avertissement !
— Attaquez plutôt ! Au lieu de parler ! »
Tout alla très vite. Saïtlyn vit bondir ce qui semblait être leur chef sur Jaïkù. Puis autour des main d’Orwen apparut comme une distorsion avant qu’un cône blanchâtre n’en parte pour aller frapper un de leurs assaillants. C’est alors qu’il entendit un pas rapide sur sa droite, il tourna alors la tête. Trop tard, il était déjà sur lui. Le garçon leva sa lame, la brandissant des deux mains tout en se recroquevillant. Le fer tinta, un corps tomba, roula et s’écarta. Lorsqu’il ouvrit les yeux le dos de Jaïkù se trouvait devant lui, en opposition.
« Saïtlyn ! C’est pas le moment ! »
Alors en lutte à très courte portée avec un deuxième adversaire, Jaïkù tentait par tous les moyens de ne pas se faire dominer. Mais le bandit semblait puissant physiquement. L’enfant se mit à haleter. Il regarda les hommes batailler, chacun empoignant l’autre et tournant doucement autour d’un axe. Un cri l’alerta. C’était le premier homme qui chargeait de nouveau. Le garçon mit sa lame en opposition, déviant tant bien que mal le coup porté. Une chance, son adversaire n’était pas bien plus grand et utilisait une arme plus légère.
Les bras fourmillants, le vertige emplissant son esprit, Saïtlyn se contenta de parer comme il put la série d’assauts le visant. Par chance, il eût l’instinct de se désaxer pour ne pas se retrouver bloquer contre la paroi. Il recula alors pour se rapprocher d’Orwen qui combattait à la dague contre deux hommes.
« Orwen ! »
Le cri lui avait échappé. Puis, tentant de se reprendre, il plaça son arme face à lui et courut le plus vite possible.
Se fichant loin dans la chair, traversant les organes et butant sur quelque chose de dur, la lame vit couler un liquide rouge sur son fil. Les yeux écarquillés l’enfant resta immobile, comme perdu. On l’attrapa par la ceinture et les deux personnes tombèrent par terre. Il regarda, totalement hébété qui l’avait saisi et tomba sur le visage d’Orwen, allongé à côté de lui. Il était désarmé.
Réalisant qu’il était le seul à pouvoir les défendre, Saïtlyn bondit sur ses pieds et se tourna vers son nouvel adversaire.
« J’vais t’saigner gamin. »
Ni une ni deux, l’homme engagea le combat. Il était fort… suffisamment pour que sa lame vienne taillader le bras du garçon malgré sa parade. Sa main gauche quitta lâcha le manche de son épée. C’était critique. Un duel à deux contre deux avec un bras en moins. À peine eut-il le temps d’en faire le constat qu’un autre cône blanchâtre lui frôla le visage et alla percer l’œil de son ennemi. Il se retourna vers Orwen qui lui lança un léger sourire avant de courir ramasser sa dague.
Plus loin, Jaïkù n’arrivait pas à se débarrasser de leur chef.
« Reste avec moi ! » lui lança Orwen.
Évidemment… Mais il fallait faire vite. C’était du trois contre deux. Les bandits le réalisèrent. Dans une pirouette bien exécutée, les deux se retirèrent sans demander leur reste. Saïtlyn tomba assis, fixant le sol sans arriver à réaliser.
À côté de lui, Orwen rangea sa dague tandis que le dernier du trio les rejoignait toujours l’arme à la main. Il se pencha vers l’enfant.
« Ca va gamin ? »
Pas de réponse… Il s’approcha d’avantage et examina son cuir.
« Merde… fais voir ça, lui dit-il en tentant d’écarter la pièce de sa tunique. Mmm… C’est pas grand-chose, tu as du parer le coup assez efficacement, vu la forme de l’entaille. »
Saïtlyn baissa les yeux sur la plaie, sans rien dire. Petit à petit, il recouvrait ses esprits. Il vit alors la main de Jaïkù se placer au-dessus de la plaie. L’homme se mit à marmonner et l’air sembla remuer au tour de ses doigts. L’enfant fronça les sourcils…
« — Ca va aller. Du repos, de la viande pour remplacer le sang perdu…
— Désolé… dit-il en baissant la tête.
— Hein ?
— Désolé… répéta le garçon.
— Le combat réel n’a rien à voir avec l’entraînement. Ça aurait pu mal se passer. On est en vie… c'est une victoire. »
Il fallut plusieurs minutes pour nettoyer les armes. Les hommes fouillèrent les cadavres des trois assaillants laissés sur place. Ils n’en retirèrent que quelques effets puis ils les laissèrent à l’endroit de leur mort. Le reste de la nuit fut calme, même pour Saïtlyn qui ne put fermer l’œil qu’il garda rivé sur le ciel, ses étoiles et ses constellations.